
Allaitement difficile raté… mais qui dure et dure encore!
Quand j’ai appris que j’étais enceinte, je savais déjà que je voulais que notre enfant soit élevé de la façon la plus naturelle possible.
Cela incluait l’allaitement, et, tout comme l’accouchement, y penser me faisait peur que j’évitais la plupart du temps de trop anticiper.
J’ai horreur du lait. S’il m’en tombe sur la peau une goutte, il faut que je la frotte frénétiquement pour l’effacer (c’est toujours le cas). Victime de plusieurs agressions et traumatismes, je suis à fleur de peau et j’entretiens, comme tant d’anciennes victimes de maltraitances, une relation difficile à mon corps.
J’ai avalé des pages et des pages de théorie tout en me doutant que la réalité serait plus nuancée que les écrits. L’accouchement s’est plutôt bien passé, mais nous avons dû le faire à l’hôpital plutôt qu’à la maison, et je n’ai reçu aucun soutien. De personne. Pas même de mon mari, qui semblait attendre, comme les autres, que le contenant que j’étais délivre son contenu.
Le bébé naît, elle va bien, elle ne tète pas immédiatement. Je ne m’occupe que d’elle. Dans la chambre, je dis mon inquiétude quant au premier allaitement à la puéricultrice; pour toute réponse, elle rit, ironique, et me pince fermement le bout d’un sein : une goutte de lait perle. Je me sens très mal, et aussi soulagée: je vais pouvoir nourrir mon bébé.
Je sais que j’aurais dû lui dire qu’elle avait mal agi. Je n’ai pas osé. Pas eu les mots.
L’allaitement difficile commence; ma fille a des freins de langue et de lèvres bas qui nécessitent, au bout de plusieurs mois, une opération chez un bon professionnel.
J’ai souffert dès les premières tétées. On me dit que c’est normal.
Il faudra attendre presque un an avant que l’opération ne soit faite et que je sois soulagée. Je me souviens encore de ma sortie de l’hôpital, avec des crevasses aux seins: lors d’une tétée, ma fille ouvre cette crevasse et se retrouve avec mon sang sur et dans la bouche. Très peu, mais ça suffit pour m’horrifier. Tout le monde me dit que c’est normal, que ça arrive.
Je suis au fond du seau. Il me manquera à vie un petit millimètre de chair sur un bout de téton, à cause de ces crevasses.
Au bout d’un mois et demi d’allaitement difficile, je deviens donneuse de lait. J’y trouve une valorisation, enfin: mon lait sort sans douleur, une gentille sage-femme du lactarium vient nous voir fréquemment pour le récupérer. Je rencontre en elle une femme douce, claire, à l’écoute et compétente.
Je donnerai pendant un an, jusqu’à ne plus pouvoir donner assez; ma fille a été opérée, je ne souffre plus.
Mais je déteste, toujours, catégoriquement, allaiter. Mon corps a intégré la douleur et se tend à chaque début de tétée, habitué à la souffrance. Je ne sens rien d’agréable, hormis de rares fois, et ces fois-là me font sentir comme une perverse.
Ma fille va avoir deux ans et la situation n’a pas changé : elle est toujours allaitée, moins, bien sûr, et je déteste toujours l’allaiter.
L’allaitement difficile de nuit a cessé vers ses un an et demi, à son rythme. Pendant ces deux ans, elle m’a mordu quelques fois, a serré les dents sur mon sein pendant des mois, et surtout, comme tous les bébés mammifères, a réclamé le sein avec virulence des centaines de fois.
Je hais ce sentiment que mon sein est le droit de quelqu’un, je me sens triste qu’elle ait dit “téter” avant de dire “maman”. Je n’arrive pas à m’habituer au fait qu’un être humain puisse toucher mon corps sans demander la permission, bien que je sait très bien que c’est un bébé dont il s’agit, mon bébé!
Je suis fière d’avoir réussi à me forcer pour elle, parce que ça prouve mon amour et ma bienveillance pour elle; mais, paradoxalement, je me sens aussi honteuse d’avoir du me forcer et de ne pas avoir trouvé de satisfaction à la nourrir.
Quel genre de maman fonctionnelle ne serait pas heureuse de nourrir son petit?
J’attends notre deuxième bébé; il sera allaité, lui aussi, à son rythme et autant qu’il le voudra. Un co-allaitement de ma grande et de ce nouvel enfant est prévu.
Mais je crains bien de détester ça, aussi. J’espère juste pouvoir le cacher le plus possible à mes petits, qui n’ont rien demandé, eux non plus.
Alors, parents, soyez vigilants: l’allaitement, c’est beau comme une icône religieuse, mais la femme a la possibilité de ne pas y trouver la plénitude d’une Vierge Marie ou d’une Déesse de la fertilité.
Merci de garder en tête que, parfois, allaiter, c’est faire un sacrifice.
- ALLAITEMENT DIFFICILE: Récit d’un allaitement raté… qui dure depuis 2 ans - mars 22, 2019
- J’ai mal à ma belle-mère - mai 16, 2018
- À toi, la maman qui a une famille toxique - avril 26, 2018